Symboles
Peindre le tableau et seulement après en comprendre la symbolique. Qu’est-ce que cela signifie ? D’une part, que le peintre est autant interprète que le regardeur. De l’autre, que le premier, pas plus que le second, n’a la conscience claire et présupposée du sens de ce qui va être peint. Surtout, l’interprétation a posteriori porte à croire que le symbole a un ancrage sensible et concret dans l’imaginaire collectif et que ce qui est créé de manière intuitive a un fondement objectif qui ne se sait pas immédiatement en tant que tel. Comme Hermès, le messager des dieux (que l’on retrouve dans le terme « herméneutique »), l’interprète s’interpose entre (« inter ») une chose ou un être et l’autre. Lorsque Virginie Hucher dit peindre un tableau pour ensuite en rechercher le sens, tout porte à croire que la clé du symbole a été déposée dans l’esprit de l’artiste, alors elle-même médiatrice. Le signe est compris après-coup pour révéler ce qui est déjà là. De fait, la pratique artistique serait essentiellement anachronique : le symbole a des racines profondément ancrées dans le corps et il ne s’agit pas tant de peindre pour montrer le symbole que de peindre pour le voir. Peut-on, en suivant une logique similaire, interpréter l’œuvre en prenant pour fondement ce que l’artiste était avant de la faire ? Serait-ce une hérésie que d’étudier le travail artistique à l’aune d’une pensée magique de la prédisposition ? Par exemple, que dit le nom de l’artiste de son travail et serait-ce possible de déceler par l’ aptonymie et l’ onomancie des éléments d’interprétation d’une pratique picturale ?
Onomancie
Forme de divination utilisant les lettres du nom ou prénom de quelqu’un, l’onomancie est notamment utilisée dans l’Antiquité par les Grecs et les Romains qui attachent un grand soin au symbolisme des noms. Le nombre de voyelles et la numérologie associée, par exemple, prédisent ou dévoilent un certain nombre de phénomènes attachés à la personne. « Hucher », en l’occurence, donne le 9 comme chiffre d’hérédité, plaçant le nom sous le signe de la recherche et de la générosité. Il annonce une énergie solaire et un appétit d’idéal. Il lie également le natif à un système en mouvement qu’il puise dans la nature. La plastique de Virginie Hucher serait en adéquation avec ce chiffre : trouver dans toute forme du vivant la chorégraphie de la nature qu’il s’agira de retranscrire sur la toile est un leitmotiv car, ici, chercher importe plus que trouver.
Aptonymie
Un aptonyme est un nom de famille possédant un sens lié à la personne qui le porte, en particulier en lien avec ses activités. Les « Hucher » ont certainement été nommés ainsi car occupant une position de valet ou de postillon lors de l’appel de la chasse (« hucher » veut dire « appeler pour donner sa position » et indique par métonymie le cornet de chasse) mais aussi pour leur activité de sculpteurs de mobiliers d’églises. Quant au verbe « se hucher », il signifie « se percher, se jucher sur quelque chose ». Dans le premier cas, c’est la voix qui porte au loin, dans le second, c’est soi-même qui est hissé en hauteur. Ce nom de famille peut également venir de la confection de huches, que celles-ci soient pour la conservation du pain ou qu’elles désignent le coffret central d’un retable d’église. Les huches sont donc des objets de protection, de même que les huchettes, qui cachent les meurtrières des châteaux. Et quel serait le lien entre ces différents sens ? Peut-être une étymologie hasardeuse, huc, signifiant « ici », montrerait qu’il s’agit dans chaque cas d’indiquer la présence de quelque chose ou de quelqu’un. Si, avec l’ aptonyme, l’identité très concrète qui marquait jadis le nom se transmettait effectivement dans les gènes, alors le travail de Virginie Hucher - selon le double sens de travail : activité et production - serait empreint de cette hérédité : l’appel, la protection, le céleste et tout signe indiquant une présence.
Elora Weill-Engerer
Critique d'Art membre de l'AICA
Commissaire d'exposition de CEA
Juin 2022