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Panser les mots ou penser les maux

Virginie Hucher se frotte à l’existence à coups de peinture. L’abstraction de la série des Corps chorégraphiés - postures du corps synthétisées à l’extrême sous la forme de volumes géométriques colorés – a depuis cédé la place aux Figures imposées. L’apparition de la figuration si elle paraît soudaine, n’en était pas moins présente dès les Corps Chorégraphiés mais conservait la pudeur des jeunes filles en fleur en préférant disparaître sous la tension exercée par des formes complémentaires ou opposées. Les sphères morcelées, volumes éventrés à la recherche de leur complémentarité serait-elle une allégorie du mythe d’Aristophane du Banquet de Platon ?

« Les hommes présentaient la forme ronde ; ils avaient le dos et les côtes rangés en cercle, quatre bras, quatre jambes, deux visages attachés à un cou rond, et parfaitement semblables; une seule tête qui réunissait ces deux visages opposés l'un à l'autre; quatre oreilles, deux sexes, et le reste dans la même proportion. […] Quand ils voulaient aller plus vite, ils s' appuyaient successivement sur leurs huit membres, et s' avançaient rapidement par un mouvement circulaire, comme ceux qui, les pieds en l' air, font la roue.»

Les formes géométriques des Corps Chorégraphiés amputées de leur âme sœur, semblent incapables de s’incarner, et paraissent attendre le moment où prendra corps leur identité. De façon subliminale, cette série annonce l’androgynie figurative des Figures imposées. Sur un fond noir, d’une profondeur abyssale, se détache une série d’autoportraits à l’anxieuse introspection. Le personnage mi-homme, mi-femme se tord dans tous les sens à la recherche de son propre moi. Du microcosme au macrocosme, il n’y a qu’un pas que Virginie Hucher se hâte de franchir en associant le big bang des émotions au chaos du cosmos.

La nouvelle série de peinture en cours, en faisant advenir deux personnages gémellaires, redouble le thème du moi en une androgynie assumée. Les personnages identiques tantôt se regardent, s’affrontent ou s’ignorent et débordent du cadre qui leur est assigné. Le double du miroir prend ici tout son sens et les cloches de verre sous vide figent dans le temps un hypothétique avenir. Pour la première fois le transhumanisme des personnages s’accompagne d’une végétation hybride et fantastique, à la lisière du cabinet de curiosité et des manipulations botaniques. Les plantes s’insinuent sur la toile, bourgeonnent, fleurissent et offrent une respiration à ces individus pris en cage, en quête d’eux-mêmes.

« Une troisième voie est possible, celle du Tao », semble nous dire Virginie Hucher. En intégrant une flore vive et élancée, la peinture de l’artiste réunit l’homme et la nature en une nouvelle destinée holistique. Après la série de photographies Effets secondaires où Virginie Hucher, emprisonnée dans une mue impossible, a dû apprendre à se libérer de ses origines pour naître une seconde fois, les peintures en cours s’ouvrent sur un ailleurs de réconciliation. Les couleurs se font pastels, les regards se croisent, les lèvres se rapprochent pour bientôt fusionner et retrouver le temps d’un instant la sensation perdue de l’éternité ?

Aurélie Romanacce

Rédactrice du magazine l'Oeil 

Critique d'art

Avril 2018

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