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 La nature est un talisman

 

Virginie Hucher est une artiste française diplômée en arts plastiques. Après une formation dans divers ateliers marquants (Michel Gouéry, Bruno Lebel, Marc Alberghina), elle développe une esthétique majoritairement abstraite dans des formes qui lui sont propres. Fine coloriste, son travail porte sur des thématiques liées à la nature, au corps et au vivant à travers plusieurs médiums : acrylique, huile, performance, sculpture.

Matisse a souvent rappelé son besoin d’exprimer dans ses peintures « le sentiment pour ainsi dire religieux qu' [il] possède de la vie » (1). Admiratrice du peintre, Virginie Hucher ne cache pas l’origine organique de ses oeuvres, pourtant bien abstraites. Les masses colorées sont centrées sur la toile, dûment délimitées en d’étranges formes qui échappent à la géométrie classique. Ces éléments souvent seuls dans l’espace, obéissent à un rapport de vide-plein cher au taoïsme. Les fonds sont aussi neutres que les figures sont pleines et aucun détail superflu ne vient perturber leur unité. Sous des coloris harmonieux et chatoyants, c’est bien la nature qui inspire. Virginie Hucher n’hésite pas à définir sa démarche artistique sous les auspices d’un engagement en faveur de la protection de l’environnement, de la faune, de la flore et de la vie sur Terre. Ces hybridations organiques, végétales, ou minérales, forment un moyen pour l’artiste de se limiter à l’essentiel. « Corps premiers » pour reprendre la périphrase de Lucrèce dans le De rerum natura, elles jouent sur l’absence d’échelle pour aborder un travail de microcosme dans le macrocosme. Voyons-nous les derniers ou premiers organismes de notre planète ?

L’apparence formelle de ces pseudo-monades n’est ainsi pas incompatible avec l’élan vital les précédant. « La nature est écrite en langage mathématique », rappelle l’aphorisme de Galilée. Quelques siècles auparavant, la tradition voulait que l’Académie de Platon fût gravée de cette injonction : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». La Géométrie, pour l’auteur, correspond à la capacité d’abstraction du penseur, son aptitude à dépasser le stade des sensations pour s’élever jusqu’à l’intelligible pur (le monde de l’esprit). De là, se pose une question : ces formes sont-elles vraiment des abstractions ? Loin de la frontière entre abstraction et figuration, somme toute relative et construite par l’histoire, on voit bien que la réalité est là, inscrite dans des figures abstraites. Les titres, aussi, rappellent à l’ordre de la réalité. La forme, si elle vient de la nature, s’en émancipe, s’en ab-strait, précisément. L’ « abstraction », c’est ce qui est « tiré de ». On ne s’étonnera donc pas davantage de retrouver un système représentationnel dans les gammes de couleurs utilisées : vert/nature, ocre/terre, bleu/ciel etc. Ces nuances peuvent ainsi faire écho aux systèmes synesthésiques entre les formes, couleurs et émotions développés pas les artistes de l’avant-garde historique. Kandinsky, dans Du Spirituel dans l’art, définissait la couleur en tant que nécessité intérieure, résultat de l’accord entre les éléments naturels et les mouvements de l’âme. Les teintes de Virginie Hucher, limitées généralement à deux, montrent la conscience qu’a l’artiste-coloriste de la couleur comme accord de deux tons, dont la beauté se révèle comme un principe dialectique. De la technique, aussi, vient la patine particulière. Virginie Hucher tire les propriétés de ses médiums comme de ses inspirations : l’acrylique ou l’huile, peu dilués, parfois utilisés ensemble. Très matiérés, les coups de pinceaux ne s’adonnent pas à l’aplat : à l’intérieur de la forme, les possibilités de vibrations sont vastes. La céramique offre, elle, une troisième dimension à son diaporama de formes. Dans le modelage comme dans la peinture, l’artiste n’hésite pas à montrer la « facture », le processus de l’oeuvre en train de se faire, renforçant une certaine autonomie de la figure. Le théoricien Adorno a souligné la dimension spirituelle à l’oeuvre dans cette forme de création : « Les oeuvres totalement organisées, péjorativement appelées formalistes, sont les plus réalistes dans la mesure où elles sont réalisées en soi et que seul leur contenu de vérité permet cette réalisation, réalise leur caractère spirituel, au lieu, simplement, de le signifier » (2). L’autonomie de l’oeuvre est d’autant plus importante que l’artiste conçoit la solitude comme un principe de création, à l’amont d’une prise de conscience sur le monde et du travail spirituel. Le voyage est long pour arriver à ces formes simples. Si l’artiste substitue souvent des objets trouvés dans la nature, des outils de bricolage ou même sa main et son avant-bras au pinceau, l’effet s’en ressent autant dans la matière que dans le rituel de création. Issue d’une famille de chorégraphes, elle-même danseuse, Virginie Hucher dessine avec le corps sur le sable, la neige, ou l’eau dans des sortes de performances où les « supports vivants » sont là pour exalter la forme. D’une manière similaire, c’est en bougeant et non assise à son chevalet que l’artiste peint, dans un geste-magie qui donne aux masses colorées une dimension talismanique. Celle qui aime voyager dans le Grand Nord, n’a peut-être pas été hermétique à l’influence du chamanisme amérindien qui considère que le pouvoir provient de l’intérieur de chaque chose, aussi petite soit-elle. Amulettes écologiques ou géométries séduisantes ? Dans sa démarche artistique, Virginie Hucher aime rappeler la notion de mystère qui fait du moment présent le premier principe créateur.

1 .Henri Matisse, Ecrits et propos sur l’art, ed. Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p.49.

2.Theodor W. Adorno, Vers le contenu de vérité des oeuvres d’art in Théorie esthétique, trad. Marc Jimenez, Paris, 1974, p.174.

 

 

 

Elora Weill-Engerer

Art'n Box - Directrice artistique, gallery Manager - ETC, critique d'art

 

Mars 2020

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