Faire corps
Virginie Hucher est une artiste pluri-disciplinaire qui évolue entre le dessin, la peinture, la photographie et la céramique. Originaire de Paris, elle s'établit en 2010 en Picardie dans une maison-atelier où elle vit et travaille. Diplômée d’arts plastiques et d’arts appliqués, elle se forme dans divers ateliers reconnus et développe progressivement une approche majoritairement abstraite de la peinture.
Pablo Picasso interrogeait : “Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant”. À ce qui semble être une énigme, Virginie Hucher a trouvé sa réponse. C’est à travers la danse, pratique à laquelle elle a été initiée très tôt par sa mère, que l’artiste lève le voile sur sa sensibilité artistique. Envoûtée, elle découvre alors le mouvement des corps et leur rapport au monde, thème qui lui est toujours cher aujourd’hui.
Car c’est ce dont il s’agit dans l’oeuvre de Virginie Hucher : faire corps. Pour elle, la création est un acte naturel, presque intrinsèque. L’artiste fait corps avec son oeuvre, et vice versa . Se crée alors une unité, définit comme “ ce qui est un, par opposition à Pluralité.L’unité de Dieu. (...) L’unité du moi. Unité de sentiments.” (1) Dès lors, on ne distingue plus l’artiste de son oeuvre, et on ne peut les définir qu’ensemble, en rapport l’un à l’autre.
Faire corps, c’est aussi faire avec le corps, élément central de chacune des créations de Virginie Hucher. S’il n’est pas figuré, le corps est en tout cas utilisé comme outil dans la réalisation d’un dessin préalable grandeur nature. Le corps est chorégraphié. La plupart du temps, elle exécute ses éphémères figures sur des supports vivants, comme l’eau, la neige ou encore la terre. Comme un retour à des éléments organiques, que l’on retrouve en filigrane dans ses peintures composées de bleu, jaune, vert ou ocre, qui ne sont pas sans rappeler l’eau, le ciel, le soleil, la nature ou la terre.
L’on comprend donc que l’artiste veut faire corps avec la nature, dans une recherche d’unité, d’osmose véritable, de symbiose. “L’artiste ne doit pas copier la nature mais prendre les éléments de la nature et créer un nouvel élément” disait Paul Gauguin (2). Si la nature n’est pas directement visible dans ses peintures, Virginie Hucher exécute un processus créatif qui emprunte au Land art. La nature est abstraite dans sa représentation, mais c’est bien au coeur d’elle-même que l’artiste débute chacune de ses créations. Pour répondre à l’éphémérité de ses dessins sur supports vivants, qui ont vocation à disparaître, Virginie Hucher photographie, filme rigoureusement chacune de ses performances. Des témoins essentiels à la poursuite de son processus créatif. Puis vient un véritable travail d’enquête, dans son “laboratoire”, comme elle aime à appeler son atelier. L’artiste exhume : photographies de voyages, citations, calques, dessins... Presque à la manière de l’archéologue qui découvre avec un oeil nouveau des vestiges du passé, qu’un autre oeil a déjà éprouvé... Les murs de son atelier sont recouvert, seule reste une large bande blanche, espace nécessaire pour projeter la vidéo de sa performance. Cette étape lui permet de mieux s’approprier les gestes avant d’enfin, se mettre à peindre. Là, Virginie Hucher déploie ses couleurs, finement sélectionnées, sur des châssis entoilés, de grands papiers ou des calques.
Toujours pour faire corps, quand elle ne peint pas à l’aide de pinceaux ou d’objets trouvés dans la nature, Virginie Hucher utilise sa main, son avant-bras. À la manière de l’enfant, dans une approche instinctive, presque primitive bien qu’appliquée, celle dont Picasso évoque la perte, une fois l’enfant devenu adulte. Quant à sa peinture, Virginie Hucher utilise l’huile et l’acrylique. Le premier pour ce qu’il emploie un élément naturel, l’eau. Le second, pour remplir, cerner, contrôler le plein.
Si l’on s’arrête sur ses créations, tout désormais peut s’éclairer. La dualité des couleurs, sélectionnées avec soin évoque le jour, la nuit, l’automne, l’été. Quiconque observe ses oeuvres, peut sentir un rayon de soleil frôler son visage, ou l’odeur des forêts à la fin de l’automne, peu avant que l’hiver ne se faufile. “En règle générale, la couleur est donc un moyen d’exercer une influence directe sur l’âme. La couleur est la touche. L’oeil est le marteau. L’âme est le piano aux cordes nombreuses. L’artiste est la main qui, par l’usage convenable de telle ou telle touche, met l’âme humaine en vibration. Il est donc clair que l’harmonie des couleurs doit reposer uniquement sur le principe de l’entrée en contact efficace avec l’âme humaine.” (3) écrivait le père-fondateur de l’abstraction, Kandinsky.
Aussi, les céramiques de Virginie Hucher semblent-elles faire partie intégrante de cette nature. C’est le cas de “Botanica”, une série de plusieurs petites céramiques à l’esthétique végétale et organique. On croirait presque avoir déjà croisé ces formes in situ .
C’est moins le cas de cette étonnante figure d’homme aux quatre visages, intitulée “L’appel de la forêt”. Disposées en amont d’une clairière, bouches ouvertes, ces quatre figures semblent presque nous prévenir, mais de quoi ? Du danger qui vient ? Ou peut-être, à l’instar du Gardien de Gloria Friedmann, ces figures sont-elles les protectrices de la forêt, sanctuaire précieux, don de la nature ? À l’instar de Friedmann en tout cas, engagée, militante pour l’environnement, Virginie Hucher fait de la protection de la vie sur terre un engagement, une démarche, tant personnelle qu’artistique. Elle la met en oeuvre au quotidien au travers de son travail, mais aussi dans son mode de vie.
Mark Rothko ne disait-il pas : “L’art, c’est communiquer quelque chose à propos du monde”. Et si c’était encore plus vrai, aujourd’hui, à l’heure d’une crise environnementale dans laquelle l’artiste peut et doit prendre toute sa place pour prévenir des maux qui nous menacent ?
Marie-Stéphanie Servos
Journaliste, fondatrice du média Femmes d' art
Avril 2020
1) Définition de l’Académie Française.
2) “Oviri, écrits d'un sauvage” - Paul Gauguin, choisis et présentés par Daniel Guérin. (Gallimard, 1974).
3) Dans “Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier” (1911).