Fertilités potentielles, quand les formes s’engendrent
À l’image des écosystèmes, l’œuvre de Virginie Hucher est intimement prise dans un réseau de
relations sans limites, qui dissout les frontières individuelles pour s’étendre au milieu. Renouant dernièrement avec ses origines maternelles espagnoles, d’Alicante et de Palma de Majorque,l’artiste s’enracine dans le revêtement sensible du monde. Ce retour aux sources, et aux femmes de sa lignée, signe plus profondément l’avènement d’un nouveau cycle dans son travail, lequel revient à la figuration tout en relançant son processus de création.
Aux tableaux abstraits et symboliques, évoquant un langage crypté ou des robes sans corps, répondent des figures féminines ou de nymphes méditatives. Telles des messagères, elles incarnent une sorte de continuum-monde, c’est-à-dire un lien de corps à corps : de la mère à l’enfant, mais aussi de la terre aux êtres qui la peuple. Car dans l’œuvre de Virginie Hucher, tout se connecte et semble émerger d’un seul et même souffle, ce que l’abondance de nez souligne et intensifie. Les règnes de l’animal, du végétal et du minéral s’entrelacent dans un vocabulaire sauvage et matriciel, au sens où ses sculptures et peintures abstraites ou figuratives manifestent des alliances silencieuses et des rapports de filiation qui excèdent constamment. Il y a en effet dans son travail le sentiment d’une prolifération féconde et mutante, à travers laquelle les formes se contaminent, se meuvent, deviennent autres. L’aspect glaiseux de sa palette fait écho à la terre de ses faïences, quand ses sculptures biomorphiques évoquent elles une fertilité potentielle.
Sans cesse, nous éprouvons un mouvement de passage entre l’intérieur et l’extérieur que des
seuils, des arches ou des portes allégoriques nous invitent à franchir. Les nombreuses coquilles
et coquillages avivent également la métaphore d’un espace mental, sorte de refuge ou d’introspection, tels des réservoirs ou des matrices utérines. Véritables enveloppes ou armures, ces coquillages sont comme des abris ou des maisons portatives, mais ils incarnent aussi ce qui nous relie au monde, à l’écoute du son de la mer, à ces espaces spiralés et infinis qui n’ont cessé de fasciner les poètes, les philosophes et les savants depuis la nuit des temps. Géométriques et quasi minérales, ces formes dynamiques inspirent le nombre d’or, voire une certaine idée d’harmonie cosmique. Alors on comprendra que toute l’œuvre de Virginie Hucher tend vers un équilibre précaire qui estompe les hiérarchies et dissout les frontières de l’égo pour se fondre dans l’épaisseur du vivant.
Entre mythologie et écologie, ses tableaux et sculptures puisent leurs forces dans le terreau fertile d’une nature qui, à l’image des poupées russes, encastre des mondes et des vies les unes dans les autres.
Marion Zilio
art critic | curator | teacher
Secrétaire générale de l'AICA
Membre du conseil administratif de c | e | a
Enseignante à l’Université de Paris 8
Mai 2023