Marquée par la danse qu’elle pratique depuis longtemps, Virginie Hucher retient de cet art une relation profonde de son corps avec l’espace. Qui danse reconnaît les sensations et les émotions qui peuvent émerger dans son corps. On prend conscience de soi, de sa capacité de se développer et d’investir un lieu. De même, la marche conduit à une perception de notre corps, de son contact avec les éléments et incite à lui faire confiance.

La pensée taoïste intéresse également Virginie Hucher qui privilégie la spontanéité et la rencontre avant de dessiner. Le principe de verticalité, l’harmonie terre et ciel et le paysage perçu comme un corps vivant s’expriment à travers ses performances au contact des éléments naturels. L’expérience physique de certains lieux l’a guidé vers une envie de s’y investir physiquement, de les arpenter, de les éprouver même dans des conditions difficiles. Elle s’arrête alors et trouve un objet, un élément, un matériau qui devient son outil de dessin dans l’espace. L’artiste libère son énergie et trace des formes à l’échelle du paysage, telles qu’elles pourraient être vues du ciel. Elle laisse ainsi son empreinte tout en gardant à l’intérieur d’elle-même son élan en vue de nouvelles formes plus petites. En se mesurant aux montagnes, aux plages, aux grands espaces, elle écoute et ressent le lieu qui inspire parfois à la contemplation et à l’humilité. Au sein de ces espaces qui ont longtemps fait peur, désormais investis et apprivoisés par l’homme, Virginie Hucher promène son outil et creuse la surface du sol. Son geste dépend du site et évolue selon son ressenti. Point de départ de ses dessins, peintures de plus petits formats, cette pratique l’amène à faire naître des formes avec le plus de liberté possible. Ses expériences font écho à la pratique de certains land artistes tels que Richard Long qui travaillent à l’échelle du paysage. Il s’agit pour elle de moments privilégiés pour accueillir les sensations que procure le contact de la nature, peu importe les conditions météorologiques. Ses formes à la fois architecturées et organiques suggèrent un va et vient de la cellule à l’espace dans lequel le corps peut se déplacer et le comprendre. Celles-ci évoquent la nature du végétal qui s’élève vers le ciel ainsi que la représentation cosmo tellurique. Le corps vertical et l’élément naturel se rejoignent.Elles rappellent le mouvement brutaliste et les sculptures de Giorgio Chilida. Leur tracé suggère une tentative de faire corps avec la nature et d’habiter la forme.

En Suède, la neige l’a incité à faire surgir des figures qui témoignent d’un moment de sa présence en un lieu éloigné de la civilisation, où l’homme peut ressentir l’immensité de l’espace dans lequel il se trouve. Parfois, ses expériences de voyage l’amènent à contempler, à noter et à prendre des empreintes. Le sable sur lequel elle apprécie marcher est devenu l’un de ses supports vivants pour le déploiement de ses tracés, témoignages de sa chorégraphie au contact des éléments mouvants. Au plus près des éléments, Virginie Hucher observe avec soin l’environnement qu’elle arpente. Les formes dessinées rappellent les lignes de Nazca ou bien des signes, témoins d’un plan possible, de traces qui donnent envie de fouiller, de chercher des vestiges d’un passé ancien. En dessinant sur un support vivant, sur un sol vierge, laissant son corps vibrer par les mouvements du vent, elle redéfinit les contours d’une nature déserte, oubliée au profit d’un monde nouveau qu’elle reconstruit.

Ses performances sont proches à la fois du jeu et d’un désir d’inscrire en sa mémoire une émotion ressentie, une unité entre son corps et le monde. Photographies et vidéos restituent ses moments de dessin sur des supports naturels en perpétuel changement.

Du corps en mouvement dans l’espace vers un travail de la forme

Pauline Lisowski