MARION ZILIO

Critique d’art, commissaire d’exposition de la CEA

Professeur Université Paris 8

Secrétaire générale de l’ AICA

TEXTES

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Fertilités potentielles, quand les formes s’engendrent

Anima Mundi

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Fertilités potentielles, quand les formes s’engendrent (2023)

À l’image des écosystèmes, l’œuvre de Virginie Hucher est intimement prise dans un réseau de relations sans limites, qui dissout les frontières individuelles pour s’étendre au milieu. Renouant dernièrement avec ses origines maternelles espagnoles, d’Alicante et de Palma de Majorque,l’artiste s’enracine dans le revêtement sensible du monde. Ce retour aux sources, et aux femmes de sa lignée, signe plus profondément l’avènement d’un nouveau cycle dans son travail, lequel revient à la figuration tout en relançant son processus de création.

Aux tableaux abstraits et symboliques, évoquant un langage crypté ou des robes sans corps, répondent des figures féminines ou de nymphes méditatives. Telles des messagères, elles incarnent une sorte de continuum-monde, c’est-à-dire un lien de corps à corps : de la mère à l’enfant, mais aussi de la terre aux êtres qui la peuple. Car dans l’œuvre de Virginie Hucher, tout se connecte et semble émerger d’un seul et même souffle, ce que l’abondance de nez souligne et intensifie. Les règnes de l’animal, du végétal et du minéral s’entrelacent dans un vocabulaire sauvage et matriciel, au sens où ses sculptures et peintures abstraites ou figuratives manifestent des alliances silencieuses et des rapports de filiation qui excèdent constamment. Il y a en effet dans son travail le sentiment d’une prolifération féconde et mutante, à travers laquelle les formes se contaminent, se meuvent, deviennent autres. L’aspect glaiseux de sa palette fait écho à la terre de ses faïences, quand ses sculptures biomorphiques évoquent elles une fertilité potentielle.

Sans cesse, nous éprouvons un mouvement de passage entre l’intérieur et l’extérieur que des seuils, des arches ou des portes allégoriques nous invitent à franchir. Les nombreuses coquilles et coquillages avivent également la métaphore d’un espace mental, sorte de refuge ou d’introspection, tels des réservoirs ou des matrices utérines. Véritables enveloppes ou armures, ces coquillages sont comme des abris ou des maisons portatives, mais ils incarnent aussi ce qui nous relie au monde, à l’écoute du son de la mer, à ces espaces spiralés et infinis qui n’ont cessé de fasciner les poètes, les philosophes et les savants depuis la nuit des temps. Géométriques et quasi minérales, ces formes dynamiques inspirent le nombre d’or, voire une certaine idée d’harmonie cosmique. Alors on comprendra que toute l’œuvre de Virginie Hucher tend vers un équilibre précaire qui estompe les hiérarchies et dissout les frontières de l’égo pour se fondre dans l’épaisseur du vivant.

Entre mythologie et écologie, ses tableaux et sculptures puisent leurs forces dans le terreau fertile d’une nature qui, à l’image des poupées russes, encastre des mondes et des vies les unes dans les autres.

Anima Mundi (2022)

Tout commence par l’immersion d’un corps dans l’espace, lorsque celui-ci, vibrant et dansant aux rythmes d’une musique ou de forces naturelles (vent, pluie, tempête, flux et reflux des marées), s’oublie pour devenir monde. L’ego en retrait pour mieux se diluer, le corps de l’artiste trace la ligne sur le sable, la terre ou la neige ; chorégraphie avec la palette du vivant au grès des éléments en présence. Devenues outils, la branche ou la pierre prolongent le geste qui improvise une partition éphémère en harmonie avec le pouls cosmologique.
Tel un caméléon qui s’adapte à son environnement, s’habille de ses couleurs, se pare de ses ornements discrets, l’œuvre de Virginie Hucher se fond dans l’étoffe au creux de laquelle bruissent les plis et les replis de la matière. Elle écoute la couleur, devient l’écorce ou l’écaille, travaille dans le bruit pour trouver son silence, accompagne la lente métamorphose du vivant de règne en règne. Car toute entité est fondamentalement mue par une énergie qui coule de corps en corps, de forme en forme, de langue en langue, sans frontière artificielle entre les royaumes du minéral, du végétal, de l’animal, ou du visible et de l’invisible. C’est sans doute la raison pour laquelle ses dessins chorégraphiés lors de randonnées ne cessent, par la suite, de changer d’échelles et de formats, passant de la performance au paysage, de la vidéo au carnet, du trait à la peinture ou au volume, mais aussi de l’art à l’habité, et de son jardin à sa maison de bois blanc. Son œuvre est en cela matricielle, fertile, créatrice. Elle déborde les limites, résonne avec l’âme du monde, le cycle des saisons, la trame serrée de l’espace-temps, dont certains tableaux portent la trace du maillage.
Dans des camaïeux de beige, d’ocre, de vert ou de bleu, ses peintures et faïences traversent le glaiseux, le terreux, la boue à partir de laquelle toute vie s’anime et s’inscrit dans une genèse. Ses formes minimalistes et symboliques, voire archaïques, nous rappellent que toute origine est sauvage au sens où elle appartient à une mémoire plus ancienne, à un corps plus originel – humus, sable, eau, matière, liquide, sang, humeurs –, et donc aussi à un corps mort, putréfié ou fossilisé, à un corps céleste, immaculé ou laiteux. Car chez Virginie Hucher, il n’y a pas de hiérarchies ni de démarcations vaines entre l’ombre et la lumière, la mort et la vie, le haut et le bas, car le mouvement est premier et participe à l’élan vital du fond métamorphique.
Dans un vocabulaire dont nous ne maîtriserions pas l’alphabet ou une langue anté- langagière, l’artiste décline une variation de motifs abstraits qui se déplient de manière sérielle comme autant de ritournelles ou d’invocations à réactiver. Chaque série se ramifie, tel un arbre généalogique ou la scission d’une cellule, en titres évocateurs dont la poésie convoque un nœud de relations filiales, soit une lignée qui la précède et une descendance qui poursuit son inexorable mouvement. En cela, l’œuvre de Virginie Hucher ne cesse de donner naissance, de déployer, telle la genèse, des processus en formation.


The generation of forms through prospective fertility (2023)

As with ecosystems, Virginie Hucher’s work is intimately engaged in a vast array of limitless organic interactions that, by eliminating their individual boundaries, enable them their extension into their eventual state. Renewing her connection with her Spanish maternal origins, from Alicante and Palma de Mallorca, the artist takes inspiration from the sensitive layers of the world which fully connects to her own sensitivity. This homecoming of a sort returning to the women of her forebears, marks profoundly the advent of a new cycle within her work. A return to figurative expression and thereby enhancing her creative process.

The abstract and symbolic paintings, evoking a hidden language of bodiless dresses, are echoed by female figures as meditative nymphs. Like messengers, they embody a sort of constancy, in other words a ‘body-to-body’ continuation from mother to child but also from the earth and the beings who inhabit it. In Virginie Hucher’s work, everything is connected and seems to appear in a single breath, in which the profusion of senses are underlined and intensified. The state of living things are interlaced with a wild and complex glossary, in the sense that her sculptures, abstract or figurative paintings show silent alliances and relationships of resembling that constantly go beyond the bounds. Indeed within her work, there is a feeling of fertile and mutating proliferation. The different shapes appear to have been influenced before radically changing form. The clay colour aspect of her palette is echoed in her earthenware, while her biomorphic sculptures evoke possible fertility.

We constantly experience a transition between the interior and the exterior world that thresholds, arches and allegorical doors invite us to move through. The numerous seashells also bring to life the metaphor of interior space, a sort of refuge or introspective state of mind in physical terms, similar to reservoirs or wombs. True envelopes like armour, the shells are like shelters or portable houses but they also embody what connects us to their world. Listening to the sound of the waves through the spiraled and infinite spaces of shells has never ceased to fascinate poets, philosophers and scholars since the beginning of time. Geometric and crystalline forms evident in mineral solids, their dynamic shapes inspire the Golden ratio and a certain vision of cosmic harmony. It is therefore understandable that the entirety of Virginie Hucher’s work tends towards a delicate balance that diminishes the graded order and does away with the constraints of the ego in order to dissolve into the depth of being.

Between mythology and ecology, her paintings and sculptures draw their strength from the fertile soil of a nature which, as do Russian dolls, embed existences and beings one into another.

Anima Mundi (2022)

Everything begins with the activity of bodies within space, whether moving and dancing to musical rhythms or to the movements influenced by natural forces such as wind, rain, storms, the ebb and flow of tides. It is unaware of itself in order to be as one with the rest of the world. The ego withdraws so as not to influence any movement made by the artist’s body when she marks lines across the sand, the earth or the snow producing a choreography of living elements enabled by the scenes that surround her. Using tools, such as a branch or a stone she enlarges the initial gesture which in turn improvises a short lived melody in tune with the cosmological beat.

Like a chameleon that adapts to its environment, charging itself with the same colours and discrete ornaments, the work of Virginie Hucher blends into the background of hollows and folds of their environment. She notes the colour, becomes the bark or scale and she works surrounded by this cacophony in order to access her inner silence, which accompanies the slow metamorphosis of existing elements from one state to another. Because entity is fundamentally driven by an energy that flows from body to body, from form to form, from language to language, knowing no barriers between the three elements, animal, vegetable and mineral or the visible and the invisible. This is, undoubtedly the reason why the drawings she makes during her explorational wanderings subsequently continue to change scale and format, moving from this performance in the landscape, from videos to notebooks, from the line drawings to paintings or sculptures, but also from her creative output to the inhabited - from her garden to her white wooden house. Her work is transformative, fertile and creative. It moves beyond boundaries, resonates with the fundamental nature of the world, the seasonal cycle, the tight transformation of space and time, underlined by the presence and reality of pieces of canvas on certain paintings.

In shades of beige, ochre, green or blue, her paintings and earthenware imitate clay, earth and mud from which all visual creativity comes to life and are part of the whole. The minimalist and symbolic, sometimes archaic forms she uses remind us that everything originates from the wild in the sense that it relates to a primal memory or storehouse to a more original substance – decomposing material, sand, water, matter, liquid, blood, antibodies. There is also a body of non living, putrefied and fossilized, and in the celestial bodies, immaculate and translucent. Throughout Virginie Hucher’s work, there are no original grades or conscious demarcations between shadow and light, death and life, high and low, to be found. Movement is essential and provides vital momentum to the metamorphic essence.

If in a spoken vocabulary in which we do not master the alphabet or even a pre-linguistic language of signs and symbols, the artist declines the utilisation of abstract motifs which would unfold in a regular manner, akin to chimes or the repetition of invocations. Similar to a family tree or the division of a cell, each series branches into evocative and poetic titles, calling for a meeting of resembling interconnections, speaking of a lineage which precedes it as well as those interconnections that take over their sustained movement. By doing so, like the beginning of time, Virginie Hucher’s work never ceases to give birth to discover new processes in their formation.

Traduit du français par Alexis Tuersley